Fortifier la souveraineté des Etats nationaux européens

Fortifier la souveraineté des Etats nationaux européens

Pas de démantèlement du droit national par la Cour européenne des droits de l’homme

Entretien avec Ruedi Lustenberger, ancien président du Conseil national

Avec leur motion du 20 mars 2015, Ruedi Lustenberger et ses 34 cosignataires de divers groupes politiques du Conseil national veulent charger le Conseil fédéral de fixer certaines limites à la jurisprudence de la «Cour européenne des droits de l’homme». Ces dernières années, la Cour a, dans son interprétation de certains articles de la «Convention européenne des droits de l’homme» (CEDH), à plusieurs reprises, que très peu tenu compte du droit et de l’ordre juridique de chacun des Etats membres. De cette manière, elle a violé le principe fondamental de la subsidiarité (cf. encadré: «La Cour européenne des droits de l’homme doit mieux tenir compte des ordres juridiques nationaux»).
Le 8 mai 2015, le Conseil fédéral a bien proposé au Parlement d’accepter la motion, mais a en même temps déclaré qu’il en avait déjà fait assez dans ce sens. En fait, les Etats membres du Conseil de l’Europe ont, avec la participation active de la Suisse, inséré le principe de subsidiarité dans le préambule de la CEDH (protocole no 15 de la CEDH du 24 juin 2013). Le préambule a certes une grande importance pour illustrer les valeurs éthiques et morales d’un accord ou d’une Constitution, mais il ne développe pas d’effet juridique concret.
Les auteurs de la motion demandent donc au Conseil fédéral de s’engager en faveur d’une disposition juridiquement contraignante du principe de subsidiarité dans la CEDH.
La motion a été acceptée le 19 juin 2015 par le Conseil national. La Commission juridique du Conseil des Etats l’a soutenue le 8 octobre 2015 par 7 voix contre 3 et 2 abstentions. Le Conseil des Etats se prononcera sur ce sujet le 15 décembre.

Horizons et débats: M. Lustenberger, avec votre motion vous voulez atteindre que la «Cour européenne des droits de l’homme» prenne davantage en compte dans ses jugements le droit national de l’Etat attaqué sur le plan légal. La sortie de la Suisse de la CEDH, est-elle concevable pour vous?

Ruedi Lustenberger: Non. Malgré ma critique concernant la pratique de la Cour et l’actuelle attitude défensive du Conseil fédéral, je ne pense pas que la Suisse doive sortir de la CEDH.

Pourquoi votre motion est-elle nécessaire?

Dans la «jurisprudence dynamique» de la Cour, je repère une ingérence rampante et déplacée dans les affaires nationales. L’objectif des juges de Strasbourg est clair: ils veulent créer un ordre juridique européen homogène sans respecter les législations nationales. Ainsi, l’Europe toute entière dégénère en un Etat de juges dépendant de la grâce de Strasbourg. Pour la Suisse, avec ses instruments de démocratie directe, ce fait représente plus qu’un simple scandale politique. Uniquement vu du point de vue de la séparation des pouvoirs, une telle interférence du pouvoir judiciaire est déjà fondamentalement inacceptable. En outre, elle conduit à une perte de souveraineté, dont nous ne pouvons pas encore évaluer l’ampleur. La compétence nationale de légiférer s’éloigne finalement du législateur vers un corps judiciaire international qui se permet, à l’aide de ses jugements, de définir le droit national des pays membres.
Il y a un an, l’ancien juge fédéral Martin Schubarth l’a formulé de la façon suivante: «L’adhésion à la CEDH il y a 40 ans n’a pas été acceptée, dans le but d’introduire la juridiction constitutionnelle de la dite Cour par la petite porte.»

Lors de la session d’été, le Conseil fédéral a proposé au Conseil national d’adopter la motion et a déclaré que la Suisse s’est toujours engagée pour le renforcement de la CEDH et continuera à le faire. Cette réponse du Conseil fédéral prend-elle en considération votre demande?

Seulement en partie. Ce que le Conseil fédéral déclare est trop défensif. Il devra s’engager beaucoup plus dans «ma» direction notamment en tenant compte de l’initiative populaire «Le droit interne prime sur le droit international». Sinon, il risque à l’avenir une défaite électorale de dimension historique.

Le Conseil fédéral estime qu’il est «ni indiqué, ni réaliste» de s’engager davantage pour le respect du principe de subsidiarité auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. Mais, votre motion exige exactement cela: un engagement supplémentaire du Conseil fédéral. Quelle sera la suite concrète si la motion est acceptée par le Conseil des Etats et si le Conseil fédéral déclare déjà à l’avance qu’il n’en fera pas davantage que maintenant?

La mise en œuvre de la motion est clairement réglementée dans le droit parlementaire [cf. encadré: Motion]. En première ligne, ce sont les deux Commissions de gestion du Conseil national et du Conseil des Etats qui surveillent la situation. Mais, encore une fois: le Conseil fédéral lui-même se doit de montrer un fort intérêt à anticiper les tensions politiques au niveau international, par conséquent être intéressé à tenir compte des idées que lui propose ma motion, et ainsi abandonner son attitude non critique envers la Cour européenne. J’espère bien que certains des parlementaires nouvellement élus soutiendront ma motion afin de rappeler à notre gouvernement d’assumer aussi dans cette affaire sa responsabilité politique à l’intérieur du pays. Cela n’apporte rien à la Confédération de vanter les côtés positifs de notre pays lors de conférences internationales, et d’ignorer en même temps ici l’incompréhension générale concernant les jugements impossibles à concevoir de la Cour européenne des droits de l’homme.

Monsieur le Conseiller national, un grand merci pour cet entretien.    •

(Propos recueillis par Marianne Wüthrich)

La Cour européenne des droits de l’homme doit mieux tenir compte des ordres juridiques nationaux

(Motion 15.3335 du 20 mars 2015, déposé par le conseiller national Ruedi Lustenberger)

Texte déposé

Le Conseil fédéral est chargé d’intensifier ses efforts auprès des instances compétentes, en particulier auprès du Conseil de l’Europe, pour que la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg (CEDH) respecte et applique réellement le principe de subsidiarité et tienne compte des ordres juridiques nationaux dans sa jurisprudence.

Développement

La Convention européenne des droits de l’homme est un acquis important de l’après-guerre, cela n’est guère contesté, et c’est pourquoi la Suisse l’a ratifiée en 1974. L’un des grands principes de cette Convention est celui de la subsidiarité, en vertu duquel les voies de droit prévues par la Convention ne peuvent être saisies que si toutes les voies de droit prévues par le droit national ont été épuisées. La procédure auprès de la Cour européenne des droits de l’homme n’est qu’un garde-fou visant à garantir l’existence d’un standard minimal.
Ces derniers temps, les arrêts de la Cour ont donné lieu à de nombreuses critiques, car ils restreignent de plus en plus, parfois même de façon complètement disproportionnée, la marge d’appréciation des Etats parties, qui dispose d’une légitimité démocratique et s’explique pour des raisons historiques. Le respect de la souveraineté des Etats, le principe de la subsidiarité et la plus grande proximité des services nationaux avec les questions traitées n’ont
plus l’importance qu’ils méritent. Les arrêts de la Cour suscitent ainsi parfois l’incompréhension non seulement du peuple, mais aussi du législateur et des juges.
L’inscription du principe de la subsidiarité dans le préambule de la Convention (par le biais du 15e protocole additionnel) est une chose qui devrait aller de soi et constitue donc un pas dans la bonne direction. Il faut que la Cour respecte davantage ce principe. Elle doit s’attaquer aux discriminations manifestes, mais sans saper les fondements des ordres juridiques des Etats parties et faire fi de leur jurisprudence.
C’est pourquoi je charge le Conseil fédéral de s’engager auprès du Conseil de l’Europe (et de ses organes) en faveur d’une telle modification de la Con­vention européenne des droits de l’homme.

Motion

Loi sur le Parlement, art. 120 Objet

1    La motion charge le Conseil fédéral de déposer un projet d’acte de l’Assemblée fédérale ou de prendre une mesure.
2    Si le Conseil fédéral est compétent pour prendre la mesure, il le fait ou soumet à l’Assemblée fédérale le projet d’un acte par lequel la motion peut être mise en œuvre. […]

Art. 122 Examen des motions adoptées par les conseils

1    Si une motion est pendante depuis plus de deux ans, le Conseil fédéral rend compte annuellement à l’Assemblée fédérale des travaux qu’il a entrepris et des mesures qu’il entend prendre pour la mettre en œuvre. Ce rapport est adressé aux commissions compétentes.
2    Une commission ou le Conseil fédéral proposent qu’une motion soit classée lorsque son objectif a été atteint. Cette proposition est adressée aux deux conseils, sauf si la motion concerne l’organisation ou le fonctionnement d’un seul conseil. […]
5    Si les deux conseils rejettent une proposition de classement, le Conseil fédéral est tenu d’atteindre l’objectif visé par la motion, soit dans un délai d’un an, soit dans le délai que les conseils lui ont fixé lorsqu’ils ont rejeté la proposition de classement. […]

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